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Jason Ricci

lee.jpg (2890 octets)Jason Ricci répond aux questions de Mark Nessmith

A l'été 2000, dans un numéro de Blues Access, Adam Gussow a écrit à propos de Jason Ricci que son talent était "trop considérable pour être nié". Il a précisé que Ricci - ainsi que Dennis Gruenling - était "l'un des tous meilleurs harmoncistes de sa génération."

A l'époque, Ricci, un natif du Maine vivait au sud de la Floride, travaillant à parfaire sa technique instrumentale et à refaire sa vie. En juin dernier, il est retourné à Raleigh, en Caroline du Nord, puis à Nashville, Tennessee. Il est actuellement un membre à plein temps de Big Al & the Heavyweights. Ricci, à 28 ans, en a vu plus que beaucoup de musiciens en toute une vie. A 21 ans, il a joué au 10è King Biscuit Blues Festival à Helena, Arkansas. A Memphis, il a gagné le Sonny Boy Blues Society Contest en 1995. Il a joué presque un an dans le groupe de Junior Kimbrough au Mississipi et faisait régulièrement des concerts avec les fils de Kimbrough et de R.L. Burnside. En 2000, Ricci a gagné le Blues Harp Blowoff national organisé par la chaîne de magasins Mars Music. Une partie du prix consistait en un concert avec Kim Wilson à la Nouvelle Orléans. Ricci a enregistré trois CDs (deux sur le label indépendant de Memphis North Magnolia Music Company géré par le virtuose de l'harmonica Billy Gibson, et un auto-produit). Ricci a récemment contribué au disque de Keith B. Brown "Got
To Keep Movin'" (http://www.bluesonstage.com/keithbrown). Enfin, il a récemment signé un contrat de sponsoring avec Hohner.

 

Planet Harmonica : Quand as-tu commencé à jouer ?

Jason Ricci : À 15 ans. Je voulais jouer de l'harmonica parce que je pensais que je n'aurai pas à travailler dur pour apprendre. (Rires)

PH : Combien de temps ça t'a pris pour remarquer le contraire ?

JR : Dès ma première leçon ! J'avais presque 21 ans quand j'ai enfin pu monter sur scène.

PH : C'était où ?

JR : À Boise, dans l'Idaho, à l'université. Il y avait une scène ouverte mais on m'aurait fait descendre à coups de pieds aux fesses parce que j'étais trop jeune. Mais le gars à qui appartenait le club a découvert que je jouais de l'harmo et nous étions tous les deux fans de Canned Heat. La première fois qu'il m'a laissé jouer, j'ai joué "On The Road Again" note pour note, parce que je savais comment jouer comme Al Wilson.

PH : À ce moment là, cependant, tu n'avais pas encore vraiment exploré les pères fondateurs de l'harmonica blues, n'est-ce pas ?

JR : Oui. C'est ce gérant de club qui m'a donné le premier disque de Little Walter que j'ai jamais eu, puis Sonny Boy Williamson. À ce moment là, j'étais prêt à écouter les types qui ont influencé mes héros, Butterfield et Alan Wilson. Et j'ai réalisé que ces types-là étaient excellents !

PH : Plus tard, tu as fini par vivre à Memphis. Comment est-ce arrivé ?

JR : J'en ai eu marre de jouer le blues à Boise, Idaho. Je rentrais chez moi dans le Maine, en voiture, et je me suis arrêté à Memphis. C'est là que j'ai entendu Pat pour la première fois.

PH : Pat Ramsey ?

JR : Oui. Je me suis juré de revenir à Memphis pour apprendre à jouer avec Pat. J'ai fait des économies et lorsque je suis arrivé, Pat se souvenait de moi et n'y croyait pas que je sois revenu. J'ai pris un boulot et je me suis mis à étudier avec Pat. Il jouait tous les mercredis et il y avait un autre jeune, Billy Gibson, un protégé de Pat.

PH : Qu'est ce qui t'a "tapé dans l'oreille" dans la façon de jouer de Pat ?

JR : Eh bien, c'était spécial mais vraiment agréable. C'était travaillé mais sans jamais perdre son âme. J'avais alors une approche très similaire de celle de gens comme Sugar Blue et John Popper, mais voilà Pat, qui était quelque part entre les deux. Et j'étais en mesure de l'accepter.

PH : Je sais qu' Adam Gussow est un autre harmoniciste qui t'a influencé. Il dit le plus grand bien de toi dans sa chronique de Blues Access.

JR : Oui, j'ai oublié de parler d'Adam ! Je l'ai rencontré dans le Maine et c'était vraiment le meilleur harmoniciste après Pat que j'aie jamais vu. J'apprenais la technique de Pat, j'en étais très proche, et puis j'ai entendu Adam. Dans un style jazzy, Adam est plus mélodieux que n'importe quel autre harmoniciste que j'ai entendu, même Lee Oskar. Satan et Adam, pour moi, sont la chose la plus remarquable qui soit arrivée au blues depuis Muddy Waters. Les gens ne se rendent pas compte que c'était une révolution pour le blues de notre génération.

PH : Tu es devenu très ami avec Adam.

JR : Oui, c'était un de ces gars qui étaient vraiment durs avec moi, vraiment honnêtes et qui ne me faisaient pas de cadeau. Alors j'essayais de le séduire en jouant dans son style et j'essayais d'assimiler ce qu'il me disait sur ce qui n'allait pas dans mon style.

PH : Après Memphis, tu es parti vivre au fin fond du Mississippi. Raconte-moi ça.

JR : Un soir à Memphis, je jouais dans la rue pour me faire un peu d'argent parce que je n'avais pas de quoi payer le loyer. Les fils de R.L. Burnside - Jerry, Cedrick et Dwayne - et les fils de Junior Kimbrough, Davis et Kenny, m'ont entendu jouer en passant et ils ont bien aimé. Ils avient leur propre groupe et cherchaient un saxo mais ils ont pensé que je pouvais faire l'affaire. Le lendemain, je me suis installé chez Davis Kimbrough juste au sud de Holly Springs, Mississippi. Après ça, j'ai joué avec Davis et Junior Kimbrough, partout, dans des bistrots de campagne, et j'étais même payé.

PH : Combien de temps as-tu joué avec eux ?

JR : Environ un an. Ces bistrots était très formateurs, j'étais très heureux. J'avais tout ce dont j'avais besoin : à manger, des femmes et un toit. J'étais très content, mais je me sentais quelque peu coupé du monde, comme si personne ne m'entendait.

PH : Pour un gamin du Maine, ça devait sacrément te changer.

JR : J'ai reconnnu pas mal de choses dans le livre d'Adam Gussow, des situation qu'Adam a vécu. Pendant un petit moment, j'ai perdu de vue qui j'étais, en quelque sorte, au milieu de tout cet alcool, de la drogue, de la musique et des bistrots.
[Ndlr: À cette époque, Jason est tombé dans la spirale de l'intoxication par les stupéfiants. Un journaliste de Floride, Davis Pulizzi, a admirablement raconté son histoire. Vous pouvez lire son article sur http://www.nucklebusters.com/jcity.html ]

PH : Alors, après cela, tu es parti pour Jackson, Mississippi ?

JR : Oui. Billy Gibson m'a recommandé à un groupe, The Hounds. Ils m'ont engagé et j'ai déménagé à Jackson. C'était la première fois que je gagnais ma vie en faisant la route dans une camionnette pour aller jouer. J'étais tellement heureux parce que je faisais ce que j'avais toujours voulu faire que j'en oubliais la drogue. Mais le groupe s'est alors séparé.

PH : Et ensuite ?

JR : Je suis rentré à la maison, et j'ai, pour la première fois, monté mon propre groupe. J'ai rencontré Enrico Crivellaro, qui est à présent guitariste d'Etta James, et nous avons fini par jouer ensemble en Europe.

PH : Et tu es parti en Floride en 1998 ?

JR : Oui, en 98. Je fumais du crack, je prenais des analgésiques très forts... J'avais déjà essayé d'arrêter plusieurs fois et on m'a envoyé là-bas en cure de désintoxication.

PH : À présent, ici dans le sud de la Floride, tu a remis de l'ordre dans ta vie tu as travaillé avec le Nucklebusters Blues Band, qui fait du Chicago blues pur et dur. Et tu as aussi joué avec Keith B. Brown, qui depuis est parti vivre en Europe.

JR : Oui, j'ai commencé à travailler avec Keith quand je jouais avec Junior Kimborough. C'était du delta blues, de la country et du bluegrass. Nous avons enregistré un CD, "Got To Keep Movin'", où on trouve quelques uns des meilleurs morceaux d'harmonica que j'aie jamais joué. C'est le premier enregistrement où j'ai réussi à placer des overblows de façon efficace et mélodieuse.

PH : Parle-moi des overblows et des harmonicistes modernes qui t'ont influencé.

JR : Eh bien, Adam est le premier qui m'a appris à faire des overblows. Mais je n'en ai mis dans ma musique que quatre ans plus tard, lorsque je suis parti en désintoxication et que j'ai fait pas mal de grabuge. Adam m'a dit que si je n'apprenais pas ça, la nouvelle génération se passerait de moi. De toute façon, j'ai ensuite entendu Howard Levy et Carlos Del Junco et je commençais à m'intéresser au jazz et au bebop et tout ça. Pendant un moment, je voulais arrêter l'harmonica et me consacrer à un instrument plus facile à jouer de façon chromatique. Mais ces types m'ont permis de tomber amoureux de mon instrument pour la deuxième fois de ma vie. Ils tiennent vraiment autant de place dans ma vie à présent que Little Walter autrefois. Au début, ça m'a demandé beaucoup de travail pour arriver tout juste à imiter seulement un de leurs riffs. Mais je suis vraiment content de m'être mis au travail. C'est tellement gratifiant de pouvoir jouer un de leurs morceaux…

PH : Si tu devais recommander trois artistes, ou plutôt trois disques, de la vieille école et trois de la nouvelle ?

JR : D'accord, je dirais "Hoodoo Man"de Junior Wells, de Muddy Waters "His Best: 1947 to 1955" et "Hate to See You Go" de Little Walter. Bon, deux sont de Little Walter, mais tu m'a demandé trois disques et c'est trop difficile, je pourrais en citer quinze.
En ce qui concerne les nouveaux albums, je vais t'en citer quatre. D'abord, "Mother Mojo" de Satan and Adam. "Big Boy" de Carlos Del Junco est un album d'harmonica inoubliable. Et puis, hmmm, "Nice and Strong" de Paul DeLay. Et "It's About Time" de Pat Ramsey. Ce sont vraiment de bons disques.
Et si je peux citer rapidement Mark Ford, Norton Buffalo, Dennis Gruenling. Ces types sont géniaux, ils ne font pas d'overblows ni rien, mais ils sont en train de révolutionner l'instrument à leur manière.

PH : Et qu'en est-il de Sugar Blue et de John Popper que tu as évoqués plus haut ?

JR : Je leur suis très reconnaissant. Mon opinion a beaucoup changé. Autrefois, je les critiquais beaucoup. Maintenant je les écoute tous les deux, Popper ET Sugar Blue. S'ils n'étaient pas là, le grand public ne connaîtrait l'harmonica. Je sais que Dieu a envoyé John Popper sur terre à cette époque parce qu'on avait besoin qui brûle les planches avec de la vitesse, de la fantaisie, de la classe, du brio et tout et tout... Le grand public avait besoin d'associer l'harmonica à quelqu'un d'autre que Neil Young et Bob Dylan. Il est le Eddie Van Halen de l'harmonica en ce qui concerne la vitesse, tout comme Sugar Blue, mais dans un genre plus bluesy. J'admire vraiment Popper de faire son truc à lui et je suis très fier de lui. Je sais qu'il vient de la même école que toi et moi. Je sais qu'il aime Little Walter, qu'il ne manque pas de respect aux anciens. Il a juste en tête que l'époque est différente, que lui est une personne différente et qu'il ne pourra jamais être Little Walter et il le sait. Il est John Popper, il est unique et je l'aime pour cela.

PH : Parlons du CD que tu viens d'enregistrer...

JR : Oui, je l'aime vraiment bien. Il s'appelle "Dedicated". Les trois quarts des morceaux sont instrumentaux.

PH : Quels morceaux joues-tu sur cet album ?

JR : Je joue sur "Prodigal Son", qui est un morceau traditionnel et sur "Soul Serenade" de King Curtis. C'est avec les musiciens de mon groupe de Memphis.

PH : Cet album est donc en boîte, prêt à partir ?

JR : Il est prêt, tout est fait, il est bon à partir, il ne me manque que les sous pour le faire masteriser et tirer, mais je n'arrive pas à trouver pas cet argent…

PH : Parlons de ton matériel. Je sais que tu utilises généralement des harmonicas Golden Melody, n'est-ce pas ?

JR : Oui, et j'en jouerai pour le restant de mes jours, à moins qu'on invente un harmonica rien que pour moi, ou quelque chose comme ça ! J'aime la façon dont ils réagissent et ma fiancée, qui est chanteuse de jazz et qui est une grande fan d'Howard Levy, pense que les Golden Melody sont plus proche de la voix humaine que les autres ; ils ne sonnent pas aussi "râpeux" et les altérations sont plus justes. Ce qui, à mon sens, est vrai. J'ai appris à les ajuster à la façon dont je joue et faire en sorte que les overblows soient plus faciles, aussi s'ils ne sortent pas de la boîte en sonnant juste, je peux toujours les arranger.

PH : Avec quel ampli te produis-tu généralement ? Est-ce toujours la réédition du Fender '59 Bassman ?

JR : Oui, tout le temps. Je l'adore. Lorsque je jouais en Europe, on m'avais fourni un Victoria Bassman, mais je préfère vraiment la réédition Fender qui convient mieux à mon son. D'autres fois, j'utilise un assortiment de minuscules amplis à lampes, comme un Kalamazoo Model et un Silverface Vibro Champ. Ils sont super mais n'ont qu'un seul son.

PH : Et le reste du matériel ?

JR : Eh bien, j'ai un micro Shure SM-57. Je ne veux pas d'atténuation du son avant qu'il atteigne l'ampli. Ce que je veux, c'est que tout le son sorte des hauts-parleurs. J'aime bien un son distordu, mais j'aime qu'il soit propre en même temps. Un des musiciens que j'aime par dessus tout, c'est Lee Oskar.

PH : Je sais que tu as essayé des douzaines de micros différents et tu reviens toujours au SM-57.

JR : Je suis tombé sur le SM-57 par accident, parce qu'on m'avait volé tous mes micros. Je jouais avec Big Al and the Heavyweights, avec un 57, mais je n'arrivais pas à avoir assez de retour. Al s'est approché de mon Bassman, il a baissé les aigus, les basses et tous les boutons et a poussé le volume à fond. Et tout à coup, j'ai eu tout le son que j'essayais d'obtenir avec tous ces fichus petits boutons. J'ai continué comme ça depuis, juste avec quelques petits ajustements qui font désormais partie de mon son.

PH : Des pédales d'effets ?

JR : J'utilise une pédale d'octave Boss OC-2 que je pousse à fond avec toutes les octaves complètement baissées. En réalité, je l'utilise comme un compresseur, ce qui me permet d'obtenir un son beaucoup plus fort sans avoir à monter l'ampli à fond. J'utilise aussi une pédale d'écho. J'ai pensé à passer à un delay numérique au lieu d'une pédale d'écho analogique.

PH : Pourquoi ?

JR : Je ne veux pas du flou que donne la pédale analogique. En fin de compte, j'aimerais avoir les deux, mais j'ai des appréhensions. Je suis encore un petit peu conservateur, lorsqu'il s'agit de matériel. J'ai un peu peur d'aller vers ce truc de processeur MIDI pour harmonica. Je veux garder un peu d'intégrité à l'instrument…


Interview réalisée par Mark Nessmith, écrivain et harmoniciste basé dans le sud de la Floride. Actuellement, il travaille avec le trio de blues acoustique Heidi & the El Cats. (Trad SL)