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Critiques

Olivier Ker-Ourio

Olivier Ker-Ourio- Sominnker

Olivier Ker-Ourio est un des harmonicistes chromatiques qui depuis quelques années marquent de leur patte la scène Jazz Européenne. Sur ses trois albums précédents, deux sont résolument jazz (Central Park Nord et A Ride with the Wind) et l'un à la frontière en jazz et ethnique (Oté l'Ancêtre). Dans ce disque déjà, Olivier retrouvait ses racines réunionnaises, et c'est à ce dernier que va ma préférence. Ce ne sera donc une surprise pour personne que j'aie grandement apprécié sa production la plus récente, " Sominnker ".

" Sominnker " est une fructueuse collaboration entre le groupe habituel d'Olivier (Gildas Boclé à la contrebasse, Pierre de Bethmann au piano et Franck Agulhon à la batterie) et le chanteur de maloya Danyel Waro, le tout étoffé de quelques percussionnistes et chanteurs réunionnais et d'Isabelle Carpentier aux chœurs. Le disque est constitué pour deux-tiers de morceaux chantés en créole, le reste étant instrumental.

Ce qui frappe à la première écoute de ce disque, c'est la cohésion de l'ensemble. Je ne connais pas la sonorité " brute " du maloya (mais depuis cette découverte, j'ai bien l'intention de m'y mettre !) mais je soupçonne que les arrangements jazz modifient sensiblement cette sonorité tout en conservant son essence, rythmique en particulier. En tous cas, on a clairement l'impression que Waro d'un côté et Ker-Ourio et son groupe de l'autre, ont toujours joué ensemble.

Je ne sais pas sur quelle durée l'enregistrement de cet album (ou en tous cas sa préparation) s'est étalé, mais on a en tous cas l'impression que les musiciens ont pris leur temps pour s'imprégner de l'esprit et de la culture musicale réunionnaise. Les notes de la jaquette signalent qu'un documentaire a été filmé sur cette aventure musicale, et j'espère le voir un jour parce que je ne doute pas de l'intérêt de la chose, comme toujours lorsque deux cultures essaient de se parler et de se comprendre.

Quoiqu'il en soit, dès le premier morceau on est plongé dans ce mélange d'exotisme des îles et de fluidité jazzy, qui ne se démord pas tout au long de l'écoute du disque. La voix de Danyel Waro est superbe, plutôt aiguë, mais souple et puissante. Il est difficile, surtout pour un Français, de ne pas s'intéresser très vite aux textes. Ils ont beau être en créole réunionnais, les bribes de compréhension qu'on en a laissent sous-entendre une profondeur et une intensité qui méritent d'être fouillées. Alors on se plonge de nouveau dans les notes, qui nous proposent non seulement les textes retranscrits en créole, mais en complément des traductions en Français et en Anglais.

Ces textes sont effectivement intenses et poignants. Il est vraiment difficile de ne pas penser aux racines du blues. De " Banm kalou banm " qui fait un parallèle entre l'esclavage historique des Réunionnais et l'esclavage moderne de cette province parmi les plus pauvres de France à " La météo " qui parle d'un enfant qui pleure, enfermé sous les décombres de sa maison détruite par la tempête, on ne peut pas s'empêcher de penser aux thèmes du blues rural, ses réflexions sur la vie quotidienne, sa spontanéité de parole, son intensité particulière…

La comparaison est d'autant plus tentante que malgré le sérieux de certains thèmes, on sent une fatalité qui se traduit souvent par un humour, une dérision, proche de celle qu'on retrouve aussi dans le blues. Qui plus est, le maloya (pour autant qu'il ne soit pas trop hybridisé par l'apport des musiciens de jazz de l'album), s'il est très différent du blues structurellement, a une texture harmonique assez proche, des oscillations entre majeur et mineur qui sonnent " bleu " à défaut de sonner " blues ".

L'album démarre sur les chapeaux de roues avec une première série de cinq morceaux (dont un instrumental) bien rythmés et entraînants. Ensuite, on a droit à un passage de quelques morceaux plus mélancoliques, dont un joli duo entre Danyel et Olivier où le premier parle plus qu'il ne chante tandis que le second tisse des phrases à l'harmonica autour de cette " récitation ". Suivent quelques instrumentaux et un morceau amusant écrit par Danyel où il imagine le jeune Olivier gambadant dans la montagne, son harmonica en bouche.

Je trouve que le disque perd un peu de cadence et d'unité sur cette deuxième partie même si certains des morceaux sont excellents. Cela étant dit, " Sominnker " reste un album exceptionnel, qui supporte largement l'écoute répétée. Il est musicalement accompli mais reste accessible, même pour qui n'est pas amateur de jazz. L'harmonica d'Olivier est superbe de clarté, on y retrouve les phrasés particuliers qui font son style, mais son jeu (comme celui de Pierre de Bethmann) est plus accessible que sur leurs albums plus marqués " jazz ". La combinaison de la rythmique contrebasse-batterie jazz et des percussions leur donnent un puissant soutien, et tout cela forme un écrin de premier ordre pour la voix éclatante de Danyel Waro et les chœurs qui le soutiennent.

En d'autres termes, à ne pas manquer !

Benoît Felten


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