Back to Contents

Interview : Bill Barret

"Bebop, Blues, etc. : Bill Barrett et le chromatique"
Par Mark Winborn

collaborateur de "American Harmonica Newsmagazine"

BillN'avez-vous jamais envie d'entendre quelque chose de vraiment nouveau à l'harmonica ? Rêvez-vous d'entendre un musicien qui joue comme personne que vous ayez déjà entendu ? Alors laissez-moi vous présenter Bill Barrett. Bill possède un style impérieux fait d'un amalgame unique de son blues et d'un phrasé très jazz. J'ai eu la chance d'entendre parler de Bill à travers la liste de diffusion sur internet Harp-L, j'ai commandé quelques CD et maintenant, je suis accro. Bill est un joueur d'harmonica chromatique et un chanteur au talent unique, il vit et travaille à Los Angeles. Toutefois, comme il joue rarement en dehors de LA, sa réputation ne s'est pas propagée aussi vite que son talent laissait espérer, mais cette situation est en train de changer.En effet, Bill a fait l'objet d'un très beau portrait par Tom Townsley (Blues Review, juillet-août 2001), qui décrit précisément Bill comme le jumeau brillant et rebelle de Toots Thielemans, une bonne description tant du style de jeu de Bill, que de sa personnalité très particulière.

Bill a grandi en Floride, où il a commencé à jouer de l'harmonica. Après un court passage dans la Navy, il s'est installé à LA et a commencé à infiltrer la scène jazz et blues. Au fil du temps, Bill s'est investi dans une variété assez étourdissante d'enregistrements et de concerts. Ses premiers projets comprenaient "El Groupo Saxo" et "The Reluctant Toby", ce dernier projet ayant eu pour résultat un CD intitulé "The Ultimate Hobby" (New Alliance Records) sorti en 1987.

Une de ses participations les plus conséquentes est celle avec le groupe "Brother Weasel", qui joue un mélange de jazz, de jump blues, de swing, et de funk. Il ont sorti deux CD chez SST Records, "Brother Weasel" and "Swingin and Groovin'" et viennent de terminer le travail de studio d'un troisième, "Heads and Tails". Leur deux premiers disques présentent des versions de morceaux de Clifford Brown, George Benson, Horace Silver, Herbie Hancock, Gene Ammons, Thelonious Monk, Baby Face Willet, James Brown, et Jack McDuff, ainsi que des morceaux originaux.

Outre cette collaboration avec "Brother Weasel", Bill a enregistré 3 CD présentant son propre ensemble jazz/blues, "The Bill Barrett Quartet/Quintet" (ou BBQ, comme Bill l'appelle). Ses deux premiers CD "Backbone" (9 Winds Records) et "Peepin" (Woe Tone Records) présentent des morceaux originaux de jazz, écrits par Bill ou par son organiste, Wayne Peet. Le disque "Backbone" s'est inspiré des enregistrement soul-jazz de Lou Donaldson et Charles Earland. Plus récemment, Bill a publié un CD plus blues "Guilty" (Woe Tone) qui présente des compositions de Bill, ainsi que des reprises de Muddy Waters, Little Walter, Nat King Cole, Eddie Boyd, Randy Newman, Grant Green, Charlie Parker, et Bo Diddley. Bill chante également sur ce CD. Bien que "Guilty" a un ton très blues, les amateurs de jazz apprécieront les riffs très jazzy de Bill sur ce disque.

Bill fait également partie d'un autre quartet de jazz, Beutet, qui a récemment terminé un CD éponyme. Si les extraits que j'ai entendus sont représentatifs, il s'annonce aussi bon que les autres disques de Bill.

Cette courte revue du travail de Bill montre seulement une partie des projets dans lesquels il est impliqué. Pour plus d'information sur l'univers de Bill, connectez-vous sur son site web (http://billbarrett.net/ ), sur lequel on peut également acheter ses CD. Si vous n'avez pas encore entendu Bill jouer, faites vous plaisir en achetant ses disques, vous ne serez pas déçus. A présent, je vais me faire discret et laisser Bill parler de lui-même.


 

Mark : Comment as-tu commencé l'harmonica ?

Bill : Oh, j'aimais le son de l'harmonica et c'était bon marché. Je travaillais dans un magasin de disques, qui s'appelait "Rock and Roll Heaven" (le paradis du rock and roll), et j'y récupérais de vieux single de blues et je suis tombé amoureux du son de l'harmonica. En fait, je jouais déjà de la guitare, mais il y avait un tas d'autres guitaristes dans le coin. Alors, l'harmonica faisait ma différence. Le premier disque de Paul Butterfield a été assez décisif pour moi, ainsi que les disques de Bo Diddley, avec, je crois, Billy Boy Arnold qui déchirait dans l'arrière-plan.

Mark : Quand t'es-tu intéressé au jazz ?

Bill : Lorsque je suis passé au chromatique. Je voulais jouer de façon modale, avec des gammes bizarre et de drôles de sons. Lorsque j'ai commencé, ça me semblait assez exotique, ça avait un son un peu comme du flamenco espagnol. J'ai commencé à rassembler des disques de jazz de chez Blue Note et Riverside en Floride après avoir quitté la Navy. C'est ce qui m'a donné envie pour la première fois de jouer du jazz. Avec un de mes amis, Frank San Filippo, nous avons commencé à jouer en duo jazz, nous avions un répertoire assez large de choses plutôt simples à jouer. Tous les trucs dont j'arrivais à attraper la mélodie, on se mettait à les jouer et à improviser sur la grille...

Mark : Est-ce que tu jouais encore à l'oreille à ce moment là ?

Bill : Je me suis mis à jouer du chromatique exactement en même temps que j'apprenais à lire la musique. C'est Frank qui m'a poussé à le faire, il avait treize ans à cette époque. Un enfant prodige. Je déteste ces gens là (rires). Il donnait des cours de guitare dans le magasin où j'enseignais l'harmonica.

Mark : Quand as-tu commencé ta carrière professionnelle ?

Bill : Ça dépend de ce que tu entends par là. J'ai commencé à donner des concerts avant d'entrer dans la Navy en 1979, mais je n'ai pas joué régulièrement avec des groupes avant de m'installer en Californie en 1984.

Mark : Donc cela fait à peu près 16 ans que tu joues à plein temps ?

Bill : Eh bien, ce n'est pas complètement vrai, parce qu'il y a environ 5 ans, je suis retourné à l'école, j'ai obtenu mon diplôme de manipulateur radio et maintenant je travaille la journée comme manipulateur radio. Lorsque j'ai commencé, je travaillais dans l'année probablement deux fois plus en radiologie que comme musicien (rires). Mais maintenant je fais plus de musique, parce plus on travaille dans la musique, plus on fait de rencontres et plus on fait de concerts. Je travaille toujours autant, je prends sur mon temps de sommeil. Mon grand défi maintenant est mon bébé, Rose. Je veux lui consacrer du temps, alors c'est plus difficile de trouver du temps pour répéter et m'entraîner.

Mark : Est-ce que tu répètes de façon spécifique ?

Bill : Ça dépend de ce que j'essaie de faire. Ça a évolué au fil du temps. Je me fixe des objectifs et je travaille sur des choses diverses. L'an dernier, mes objectifs - non atteints - étaient de venir à bout d'un gros livre sur les accords harmoniques et de jouer en quartes, je n'ai jamais vraiment trouvé le moyen d'y parvenir à l'harmonica. Pendant quelques temps, j'y travaillais quelques heures par jour et ça avait fini d'une façon ou d'une autre à s'insinuer dans mon jeu, mais l'effort était assez vain. Un de mes amis, un grand bassiste, dit "C'est le geste qui compte" et je lui réponds : "L'harmonica n'est pas un instrument fait pour gesticuler : quand il faut actionner la tirette en même temps que l'on change de direction du souffle à chaque note, c'est coton..." Il m'arrive aussi de prende des solos transcrits et de les travailler. J'essaie de ne pas toujours faire les mêmes, mais je retourne toujours aux oeuvres complètes de Charlie Parker, et j'essaie de les lire en restant près du tempo, si j'y arrive, pour améliorer ma lecture. Juste quand je pense que c'est assez bon, ça régresse. Et puis tu vas à une répétition où les gens sont vraiment de fabuleux lecteurs, et tu as l'impression que tu ne devrais pas sortir de chez toi sans casque ! (rires)

Mark : Au vu de la doc biographique, les autres membres du Bill Barrett Quintet/Quartet sont de sacrés musiciens.

Bill : Oh, oui. Ils jouent dans de nombreux autres groupes très différents. Le but ces dernières années était de jouer plus de free jazz, ce qui, à première vue, semble facile, mais y imposer ses propres restrictions demande beaucoup de connaissances, sinon, ça sonne pipeau, surtout quand on joue avec des gens capables d'écouter ce que vous jouer et de vous le ressortir harmonisé... J'essaie d'en écouter de plus en plus et de trouver différents concepts sur l'approche qu'en ont les gens. Ce travail sur les accords était une façon de sortir un peu de l'harmonie, de jouer en dehors en utilisant les gammes pentatoniques et des trucs d'ant-garde de la fin des années 60 et du début des années 70, comme le Miles Davis Quintet et les choses de ce genre.

Mark : Peux-tu nous dire quelques mots sur le fait de jouer "non conventionnel", le jeu "out" et si tu as un approche générale de l'improvisation ?

Bill : J'essaie de m'adapter à toutes les situations. Par exemple, si j'ai un concert, comme c'est le cas demain avec le Brazilian Jazz Quartet, beaucoup de ces airs brésiliens ont des changement d'accords très bizarres, leurs harmonies sont irrégulières. Les guitaristes du groupe sont des musiciens de haut vol qui m'apportent des tas de choses, mais j'essaie de penser à ne "pas trop jouer", à bien négocier les changements et à jouer mélodieusement afin de compléter le chanteur. Quand j'ai un concert avec Beutet, qui est une formation de jazz électrique très "out", les choses qui peuvent me tracasser sont quelle sorte d'ampli emporter pour avoir le son que je veux, puis de m'adapter aux morceaux. Par exemple, certaines chansons ont une structure dans laquelle la ligne de basse est une improvisation logique. Alors, je regarde les notes et je vois que c'est plutôt une gamme réduite, ou une gamme de La 7 sur une gamme de Sol 7. Alors s'il y a une approche mélodique possible, dans ce cas là, ce sera une gamme lydienne dominante. Donc je vais la mettre de côté, mais puisqu'il s'agit de free jazz, le plus important serait de simplement ouvrir mes oreilles parce que le morceau peut changer de clé sans prévenir ou alors on peut cesser de jouer tous ensemble. Essayer d'écouter le batteur et jouer de façon thématique ou jouer les rythmes mélodiques du thème pour avoir ainsi quelques références du morceau de base afin de ne pas faire un solo - ce que je suis en traine de faire dans cette interview (rires). Cependant, si je joue avec "Brother Weasel", la plupart du temps c'est plutôt un blues band, un genre de blues band bizarre qui joue des morceaux de jazz, alors nous faisons quelques changements, mais je suis plus libre de boire quelques bières et de jouer un peu de blues. Je fais attention d'avoir un bon son blues et je fais corps avec la section des cuivres parce que je dois jouer certaines parties avec le trompettiste et le saxophone. Donc toute mon approche de l'improvisation dépend du groupe.

Mark : Comment as-tu acquis tes connaissances du langage jazz ?

Bill : A travers des livres, des leçons informelles, sur scène et aux répétitions. Beaucoup tout seul. Par exemple, en parcourant des transcriptions de solos et en choisissant des morceaux qui me plaisent et en les transposant ensuite dans chacune des 12 clés. Il faut ensuite les jouer encore et encore, jusqu'à ce qu'elles se fondent. C'est une des manières qui m'ont permis d'apprendre. Et puis il y a plein de livres sur le jazz, les livres de by Jerry Coker et David Baker, disponibles sur le catalogue Jamey Aebersold. Et puis j'ai aussi pris des leçons pendant un été avec Frank Potenza, un grand guitariste élève de Joe Pass. Beaucoup de gens avec qui j'ai joué m'ont appris des choses. En fait, j'essaye intentionnellement d'engager des gens meilleurs que moi ou de jouer dans des groupes avec des gens qui peuvent m'apporter des choses afin de progresser. Et une fois qu'on est suffisament effrayé parce qu'il faut le faire en direct, alors on se met au travail. Alors ce que j'ai probablement fait est d'essayer de voir ce qu'il manque à mon jeu et de trouver la meilleure façon de l'obtenir. Il faut beaucoup écouter, écouetr des disques. C'est difficile de saisir le vocabulaire du jazz sans avoir du jazz plein la tête. Mais il n'y a pas de véritable école. J'ai pris quelques cours d'improvisation jazz en cours du soir, mais cela ne m'a pas beaucoup aidé comparé aux boeufs informel du jeudi soir avec de bons musiciens et de parler avec eux de leur approche du jazz. Et puis, ce qui m'a aussi beaucoup aidé, c'est de m'asseoir avec quelques bons joueurs de clavier et de jouer avec eux.

Mark : Dans ta biographie, tu fais allusion à Eddie Manson et Don Carroll.

Bill: Eddie Manson faisait partie des "Harmonica Rascals", il est allé à la Julliard School. J'ai eu une grande chance : il habite ici, comme Tommy Reily et d'autres gens, en tant que musicien classique. Il est absolument fabuleux. J'ai trouvé un de ces disque qui m'a complétement scié. C'était la bande originale d'un film, "The Little Fugitive", qui a eu un prix a un de ces grands festival. C'est un solo d'harmonica qui vous captive pendant 40 minutes. J'avais commencé à en apprendre une grande partie d'oreille lorsqu'un ami, le Dr. Don Carroll, l'a transcrit pour moi. Ensuite il m'a présenté à Eddie et j'ai grapillé un peu d'argent et j'ai pris des cours avec lui pendant quelques années. Il m'a appris beaucoup sur l'harmonica, même s'il détesterait la plupart des choses que je fais (rires). Il a vraiment des idées très précises sur l'harmonica.

Mark : Toots dit dans une interview dans le livre de Richard Hunter "Jazz Harp", qu'il aimerait obtenir avec un chromatique le lamento que les joueurs de diatonique obtiennent. Tu as l'air de mettre beaucoup de ce son diatonique en jouant du chromatique.

Bill : Oui, j'espère. C'est peut-être juste une question d'adaptation. Lorsqu'on joue avec ces musiciens de jazz de la vieille école, c'est un monde différent. Mon jeu, que je le veuille ou pas, est influencé par le rock and roll et j'ai même joué dans des groupes punk rock. Tout comme j'ai fait un concert avec Les Thompson, qui un merveilleux vieux routard du chromatique. Il a joué avec Charlie Parker et a participé à quelques disques de Chet Baker. Il a joué avec tout le monde. Il faisait partie de la première version du Lighthouse All-stars avec Bobby White. Je me souviens d'avoir pensé que lorsque nous avons joué ensemble, c'était la nuit et le jour. Nous jouions tous les deux en accoustique avec le même micro, on s'échangeait des séries de quatre mesures dans les solos, et tout. Son jeu est exempt de toute influence rock and roll. Malgré le fait que je pense en termes d'appartenances stylistique des morceaux ("Sophisticated Lady", c'est du jazz), on échappe pas à son historique d'écoute ! Mais je n'essaie pas non plus de jouer comme ça intentionnellement ! J'ai arrêté de jouer du diatonique il y a quelques années, de façon à obtenir un son de diatonique sur mes harmonicas chromatiques. Avant, quand un morceau vraiment blues arrivait dans la set list, je posais mon chro et je sortais un diato. Abandonner le diatonique, ça m'a permis de développer un vocabulaire au chromatique que je n'aurais pas acquis sans ça !

Mark: Quand j'écoutes ce que tu joues, je trouve que ton vibrato de gorge est un des trucs qui te différencie vraiment des autres joueurs de jazz.

Bill: C'est vrai que ça n'est pas utilisé si souvent que ça. C'est marrant d'ailleurs : dans le jazz plus moderne, de l'après guerre, effleurer un vibrato à la fin d'une phrase est considéré comme acceptable, mais si on essaie le gros vibrato de sax tenor, les mecs se retournent en disant "c'est qui ce rustre"... Mais à l'harmonica, c'est exactement ce qu'il faut faire pour avoir un son blues. Parfois je pense que ce vibrato n'est pas adapté et je ne m'en servirais pas, mais je reste persuadé qu'on ne doit pas tous avoir le même son. J'aime la façon de jouer de Toots, et beaucoup de gens aiment Mike Turk, mais leur son ne me prend pas toujours aux tripes comme le fait celui de la plupart des harmonicistes de blues. L'harmonica est un instrument très vocal, comme la trompette. Si tu mets une sourdine Harmon sur une trompette comme le faisait Miles, sans vibrato, le son est quand même superbe... Je n'essaie pas de me défaire de mon vibrato, ça c'est clair. Mais parfois, quand je joues dans une section cuivre de jazz, il m'arrive accidentellement d'en faire, mais j'essaie de me reprendre !!!

Mark: Tu utilises un son beaucoup plus distordu que ce qu'on a l'habitude d'entendre en jazz, particulièrement chez les harmonicistes. Le son associé au chromatique jazz est généralement très différent. C'était délibéré au départ ?

Bill: Je voulais jouer du jazz, mais j'avais surtout des concerts blues dans lesquels j'essayais d'intégrer du jazz. Quand vous êtes un harmoniciste, le truc c'est que vous devez vous monter votre groupe et chanter si vous voulez avoir suffisamment de concerts et éviter de devoir payer trop de musiciens. C'est ça qui vous rend "embauchable". Tout ça pour dire qu'il y a plusieurs raisons pour ce son, mais une des principales ça a été le premier album de "Brother Weasel". Je me suis dit que je n'aurais pas de concerts en jouant ce genre de trucs, donc faisons un disque juste pour le fun. Un label l'a récupéré, nous a fait tourner, et le groupe existe encore aujourd'hui ! Et au final je joue ce que je voulais jouer dès le début... Au passage, il y a des guitaristes qui jouent avec un son fortement saturé come Mike Stearns, John Schofield et tous ses émules. Des vrais joueurs de jazz légitimes qui jouent du funk, et qui le jouent sale ! J'adore ! Des mecs comme Lou Donaldson ou Eddie Harris jouaient du sax amplifié avec disto dans les années 70, à l'époque du tout électrique ou tout le monde était influencé par James Brown...

Mark: Qu'est-ce que tu aurais à dire à un harmoniciste qui voudrait se mettre au jazz ?

Bill: Il faut rester curieux et trouver soi même l'inspiration. Il n'y a que comme ça qu'on peut continuer à bosser. Si vous prenez des cours avec quelqu'un et que vous vous ennuyez, il y a des chances que vous laissiez tomber... Ecoutez beaucoup de disques : les disques, c'est comme les livres : ils influencent la manière dont vous parlez ! Et puis commencez par le catalogue Jamey Aebersold. C'est plein d'info bien solide. Je ne crois pas que la musique puisse être segmentée et analysée "par parties" comme le fait la pédagogie jazz récente, même si ça peut-être intéressant et utile de la regarder aussi comme ça. L'analyse de transcriptions de solos n'est pas la même chose que les solos eux-mêmes, et ce n'est pas de la musique de toute manière. On peut s'enliser dans ce genre de choses...
Si vous voulez apprendre à jouer du jazz à l'harmonica, commencez par apprendre où sont les notes sur votre instrument, apprenez à jouer les gammes et apprenez à lire la musique. A partir de là, il y a une infinité de trucs à lire et à bosser, mais c'est du boulot ! Beaucoup de gens ne dépassent pas ce stade, de même que beaucoup de gens ne dépassent pas les premiers stades de jeu. A l'harmonica, beaucoup de gens apprennent à altérer, puis se construisent un vocabulaire de riffs qu'ils imbriquent de manière plus ou moins créative. Mais si vous voulez jouer du jazz, cela requiert une compréhension fondamentale de la musique, indépendamment de votre instrument, en termes de lecture et d'harmonie.

Mark : En parlant de disques, tes trois disques sur une ile déserte ?

Bill : (Rires) - Impossible ! Sans doute aucun album avec de l'harmonica. Je dirais "Gumbo" de Dr John, je peux l'écouter cinq millions de fois. Une compile du Nat Cole trio des débuts, c'est quelque chose que j'écoute très souvent. Si j'en choisis encore un je ne me laisse plus de possibilités, alors j'arrête là !

Mark : Tu joues beaucoup de compositions, mais tu joues aussi pas mal de jazz des années 60 aussi. Des trucs de l'ère Coltrane...

Bill : Dans les disques, j'allais citer "Coltrane Plays the Blues," bien que ça n'aie pas été une grande influence sur ma manière de jouer, mais j'aime beaucoup ce disque... Mais au lieu de celui-là, je citerais plutôt "Masada Vol. 5". C'est un truc du John Zorn band, ils en ont dix volumes de sortis. Et voilà... Maintenant j'ai fait mes choix, et il n'y a ni Cannonball Adderley, ni Eric Dolphy, ni Lou Donaldson. Ca m'énerve !!!

Mark : Autre question : Tu as dit que le disque "Backbone" était dédié à Lou Donaldson. Quelles sont tes autres influences majeures en termes de phrasés et de style ?

Bill : En tant que joueur de jazz, mes plus grosses influences sont des joueurs de blues. Je pense qu'il y a beaucoup de riffing qui se voulait plus mélodique, mais qui une fois sur deux sonne trop comme "Juke". Des grosses influences de cette période sont Lee Morgan, Joe Henderson, Hank Mobley, Jimmy Smith. La moitié de mes disques sont des Blue Note et Riverside de cette période. Charles Earland, Horace Silver... Je pourrais continuer pendant des heures...

Mark : Quels harmonicistes morts ou vivants admires-tu ?

Bill : J'aime beaucoup Tom Ball. C'est un joueur de blues très traditionnel, mais j'adore ses disques. J'aime bien Kim Wilson, Brendan Power, et Paul Delay. J'adore Charles Leighton, son son est extraodrinaire. Voyons voir...

Mark: Est-ce que le son de William Clarke te plait ?

Bill : Ah ouais ! J'adore William Clarke. Son guitariste, Alex Shultz, est un de mes supers potes. On a joué ensemble. Je pense que George Smith, Rod Piazza, William Clarke sont tous des joueurs très différents même si on les catégorise pareil : le West Coast. Rod Piazza, j'ai une dizaine de disques de lui, et j'adore le son qu'il obtient, mais je ne suis pas sur qu'il improvise beaucoup. Par exemple, je trouvais un de ses instrumentaux vraiment fabuleux, et puis j'ai découvert que c'était un vieux morceau de Louis Myers joué note pour note... A mon sens, l'improvisation est une des essences de la musique. J'aime beaucoup la musique composée, et je trouve très intéressant d'entendre plusieurs interprêtes jouer la Toccata, mais j'achèterais aussi un disque pour entendre E. Power Biggs ou Helmut Walsched la boeufer. Je serais plus intéressé de voir dans quel coin ils s'enferment en improvisant sur une fugue. Donc entendre quelqu'un en live qui joue la même chose que sur ses disques, ça ne m'excite pas. On sait qu'il ne se met jamais en danger... William Clarke, on sentait qu'il risquait à tout moment de s'effondrer, tellement il prenait des risques. En plus de ce son et de ce groupe, c'était génial... Et à part la dernière fois où je l'ai vu jouer, ses concerts étaient tous supers et tous très différents. D'ailleurs ils viennent de ressortir son "Tip of the Top". J'adore ce disque !

Mark : Avec quel matos joues-tu ?

Bill : Généralement un Sonny Jr. II de Gary Onofrio. Il a six haut-parleurs de huit pouces et peut être utilisé à travers deux niveaux de sortie. Je crois qu'il a arrêté de les faire maintenant. C'est un peu comme un bon Bassman.
J'ai une floppé de micros, mais en général j'utilise un Green Bullet que j'ai acheté il y a un moment. C'est un "controlled reluctance". Pour Brother Weasel et les concerts blues, j'amène un delay analogue Ibanez AD99 que j'utilise avec parcimonie. Pour Beutet, j'ai aussi quelques effets par Carl Martin que j'utilise sur quelques morceaux bien précis. L'un est un Chorus II et l'autre un Tremovibe : c'est un tremolo plus un vibrato, je règle juste le vibrato au max. Ca sonne assez sinistre et je m'en sers surtout pour faire rire ! J'ai aussi un vieil émulateur de Leslie des années 70.
Si c'est un petit concert, j'amène un des mes Fender Champs - j'ai un tweed '55 et un Vibrochamp '65 - parfois j'emmène les deux. J'ai une sortie sur le tweed Champ donc parfois je l'utilise comme un pre-ampli du Vibrochamp. Ca crache pas mal. Ou alors j'amène l'ampli le plus épouvantable de la terre : c'est un Fender Princeton '56. Je n'ai jamais enregistré avec mais je te garantis qu'il doit être illégal !!!
Si je fais un concert jazz et que je veux un son plus clean, j'ai un ampli Roland KC300 ou je joue direct dans la sono. Si je joues avec le Roland j'amène un pickup harmonica Barcus-Berry. Je joue beaucoup avec une tasse pour jouer acoustique et pour avoir le son wah-wah d'une trompette bouchée. Ou alors j'utilise mon Shure SM-58 à travers un pre-ampli à lampes ART avec un digital delay. Ca me garantit à peu près un son chaud où que je sois. Donc je fais mes paquets selon le concert !

Mark : Donc tu n'utilises pas le Sonny Jr. pour des concerts de jazz ?

Bill : Rarement. Je fais un concert bientôt avec un big band qui s'appelle DBA et dans lequel joue Mike Acosta, un joueur de sax qui joue sur mon CD "Peepin". On joue beaucoup de trucs période Wayne Shorter et là j'amène le Sonny Jr. Parce qu'avec un Big Band il faut se faire entendre ! C'est trop compliqué de mettre l'harmo dans le mix, et le son colle bien avec le reste des cuivres (trombone, trompette et sax alto.)

Mark : Et les harmos ?

Bill : J'amène juste quelques CX-12's en "C". Ils sont tous accordés avec l'accordage Be-Bop. L'accordage bebop est juste un peu différent : les deux notes soufflées des trous 4 et 8 sont accordées un ton en dessous. Le Do devient un Si bémol et le Ré bémol devient un Si.

Mark : Qu'est-ce que ça apporte par rapport à l'accordage chromatique classique ?

Bill : D'abord, plus de choix en matières d'intervalles. Si tu joues en Fa#, tu as un tri-ton supplémentaire, le Mi et le La# ou le Mi et le Si bémol. Ca te donne deux séries de tri-ton de plus donc tu as tous les tri-tons sauf deux, ce qui veut dire que tu as un tri-ton avec lequel tu peux jouer deux accords dominants. Ca fait donc quatre accords de plus dont tu peux te servir. Ca donne beaucoup plus de possibilités pour jouer deux ou trois notes simultanément. Ca confère aussi un jeu soufflé plus fluide et symétrique. Ces Do et Ré bémol redondants créent une interruption gênante. Mais bon, l'harmonica est vraiment un instrument de fou. Le mec qui a conçu devait faire le concours de l'instrument sur lequel le jazz est le plus difficile...

Mark : Tu bricoles tes harmos toi-même ?

Bill : Oui. J'ai aussi loué les services de Brendan Power et, il y a quelque années, de Dick Gardner. Mais j'ai essayé pas mal de réparateurs, et il y en a vraiment qui sont nuls... Parfois les harmos me revenaient complètement désaccordés... Généralement, si je pense que je n'aurais pas le temps, je les envoie à quelqu'un. J'en ai acheté un à Brendan Power récemment, et il m'a envoyé un Hohner CX-12 avec des plaques Suzuki. C'est génial. Il est super étanche et projette le son de manière étonnante ! Il fait d'autres modifs aussi, je ne sais pas trop comment elles affectent le son, mais ça donne un look : il perce des trous à travers les capots et met des résonnateurs en métal en dessous. Pour avoir un bon son amplifié au chromatique, il faut avoir un chromatique qui joue fort pour que le signal soit puissant, et il ne faut pas oublier la position des mains. Malheureusement, beaucoup de gens ignorent la technique du micro dès qu'ils commencent à jouer du chromatique...

Mark : C'est quoi les limites du jazz au chromatique ?

Bill : Un trompettiste ne jouera jamais aussi vite qu'un sax tenor. C'est la nature de l'instrument. Je peux jouer aussi vite que je ne l'ai jamais fait sur un rythme qui pulse, et un saxophoniste, même moyen, se pointera et jouera mon solo en rajoutant des embellissements... Je n'ai jamais eu pour objectif de jouer vite, ce n'est qu'une conséquence du fait d'écouter des gens qui jouent vite. Je préfère entendre un solo bien construit quel que soit le tempo... A cause des limitations de l'harmonica, tu ne joueras jamais aussi vite que la plupart des instruments à vent. Quand j'entends des gens qui essaient d'aller au-delà de ça, comme John Popper, je trouve ça vite lassant...

Mark : Il y a des moments où tu joues vite sans que ça sonne mécanique. En fait, il y a même des passages sur "Backbone" et "Peepin" où tu montes dans le registre aigü tellement vite que ça se fait tout seul. On a presque l'impression que tu vas au-delà du douzième trou, et en fait non !!! Mais ça sonne super parce que c'est à la limite de la perte de contrôle...

Bill : Merci pour le compliment. C'est ce que je recherche. J'aime beaucoup les solos be-bop très gracieux, comme ce que fait Sonny Stitt, mais tu sais qu'il ne va jamais se perdre, jamais pêter les plombs. Il y a quelque chose dans la musique qui se met en danger qui m'attire. Si tu as suffisamment de bagage, l'esprit clair et que tu tentes de faire quelque chose que tu n'as jamais fait, c'est là qu'il y a un vrai plaisir...

Mark : Sur le morceau éponyme de "Peepin" tu échanges des séries de quatre mesures avec Mike Acosta, le saxophoniste, et on dirait presque que vous faites une compétition.

Bill : C'est vrai : c'est un joueur tellement frénétique que les question-réponse virent au duel très vite. C'est vraiment un musicien extraordinaire, un mec genre Phil Woods. Je n'avais jamais joué avec lui avant cet enregistrement. Il ne faisait pas partie du groupe. Je me suis juste dit que j'allais mettre un sax tenor sur le disque. On s'était rencontré deux ou trois fois, donc je l'ai appelé. On a fait deux, trois prises max par morceau. Sur celui-là d'ailleurs, le batteur a oublié de s'arrêter, ce qui fait que la fin est différente de ce qui était prévu.

Mark : Tu tiens la route à côté de lui, à la fois en termes de son et de phrasés.

Bill : Merci ! C'est marrant parce que ça n'était pas censé se terminer comme ça. On s'est laissés emporter : je pensais que ça allait se terminer là, on échange quatre puis quatre puis quatre et tout à coup il n'y a plus que le batteur. Du coup je prends les quatre suivants, Mike joue par dessus, on part sur deux-deux et puis je finis en riffs et il prend le dernier chorus.

Mark : Tu fais pas mal de trucs à l'unisson avec le sax, ça crée un son très épais.

Bill : Le pianiste et moi, on avait parlé de ça. J'allais écrire des harmonisations pour le saxo, et il m'a signalé que la plupart des instrumentaux de l'ère Lou Donaldson n'ont pas de thème harmonisé. Je pense que ce truc à l'unison c'était la manière pour les jazzeux de cette époque d'essayer de surfer sur la vague rock & roll et funk/R&B. Echec patent du point de vue succès, mais du coup ils ont créé un hybride qui me paraît très intéressant à tous les points de vue. Du coup, on a opté pour l'unisson et un son plus gros.

Mark : Y a t'il une difficulté particulière à s'adapter au phrasé d'un cuivre ?

Bill : Sur ce disque là avec Mike, non. Mike a joué dans des millions de sections cuivre, il a le talent pour sentir dès la deuxième mesure comment ça sonne et s'y adapter. En général ça marche bien avec des musiciens avec lesquels je joue beaucoup, comme dans Beutet. Dans Beutet, tous les thèmes sont à l'unison avec un sax alto, Tony Atherton. Ca fait vingt ans qu'on joue ensemble, et on a aucun mal à anticiper ce que l'autre va faire. Dans Brother Weasel, il y a plus d'harmonies, mais le saxophoniste, Vince Meghrouni (un super joueur de blues et de funk au tenor) on se pique des phrases depuis si longtemps qu'on sonne pareil. Mais c'est vrai qu'il peut être difficile de bien identifier le phrasé utilisé, le sens du swing peu être différent. En plus, on ne lit pas tous toujours correctement les partoches, il y a parfois une note dont la durée sera un peu différente, ou l'articulation. Mais généralement quand ça arrive les gars s'arrêtent et te demandent si c'est voulu. Parfois aussi, mon background blues me fera terminer une note en l'altérant, ce qui peut rendre l'ensemble moche avec les cuivres. Je dois me réfréner !

Mark : Quelle est l'acceptance de l'harmonica auprès des autres musiciens ?

Bill : C'est l'instrument le plus décrié qui me vienne à l'esprit, à part peut-être la cornemuse. Récemment il y avait un joueur de cornemuse à un mariage auquel je jouais, et j'ai pu me foutre de lui, ça fait du bien ! En fait, ça dépend beaucoup s'ils ont entendu parler de Toots Thielemans. Sinon les gens pensent tout de suite blues ou feu de camp. Parfois, tu sens tout de suite une mauvaise vibration avec l'un ou l'autre musicien. Si je peux l'éviter, je ne joue jamais avec un mec qui a cette mauvaise vibration. Si les gens ne sont pas ouverts d'esprits, ils ne sont pas ouverts d'esprit sur scène non plus, et ça ne peut rien donner de bon. Donc à moins qu'on me paye pour le faire, je ne joue pas avec ces mecs là.

Mark : J'ai remarqué que sur tes CDs, où tu es pourtant le leader, ça sonne pas du tout comme un disque de Rod Piazza où Piazza est clairement le soliste phare et tous les autres sont là en soutien.

Bill : Tout à fait. Et le mix reflète ça d'ailleurs : son harmo est mixé deux fois plus fort que tout le reste. C'est un truc de star...

Mark : Tes albums sont plutôt sur un modèle de formation jazz, les solistes ayant une part équitable du temps.

Bill : C'est clair que je ne voulais pas contraindre qui que ce soit. Je voulais que ça soit spontané. Kenny, le guitariste, fait toujours des solos longs, mais il a aussi beaucoup de vocabulaire. L'idée c'était pas de me mettre en avant mais de faire un disque qui me plaise sur lequel il se trouve que je collabore.

Mark : Tu peux nous parler de tes prochaines sorties ?

Bill : Voyons voir : je vais sortir "Guilty", qui est un disque du Bill Barrett Quartet beaucoup plus orienté blues et qui présente aussi quelques out-takes de la session d'enregistrement de "Backbone". Ca va sortir sur mon propre label, Woe Tone. Ensuite, le CD de Beutet va sortir, j'espère sur le label Atavistic. Je vais aussi sortir un disque avec Marisol Saens, un chanteuse de jazz brésilienne. Il y a un disque du Leisure Time Orchestra, qui est un petit big band d'une dizaine de musiciens. L'un des compositeurs de ce groupe est Frank San Filippo, le type dont je parlais plus tôt. Les instrumentations sont bizzares, les compositions inhabituelles avec une clarinette, une clarinette basse, un flute, un saxo, un harmonica plus guitare, batterie et basse. Normalement, Brother Weasel va sortir "Heads and Tails," pour lequel on répète en ce moment (enregistrement le 18 Mai.) Ce sera le troisième de Brother Weasel, mais on est pas sûr que SST voudra le sortir. Si ce n'est pas le cas, il y a un ou deux autres labels qui ont manifesté un intérêt. Enfin, le Frank San Filippo Quintet/Sextet qui joue ses compositions, mais ça n'a pas encore été enregistré, c'est sans doute pour Juin.

Mark : Sur Brother Weasel vous faites du swing, du jump blues, du funk...

Bill : Et chacun de ces styles peut être exploité autrement, chacun peut devenir du bon jazz légitime.

Mark : Sur le premier Brother Weasel, "The Preacher" de Horace Silver sonne presque comme s'il y a avait un groove western...

Bill : C'est le fait d'avoir Paul Hobbs à la guitare ! C'est pour ça qu'on l'a choisi ! Un harmoniciste de blues qui joue du jazz avec un guitariste de country. (Rires)

Mark : Sur "Swingin and Groovin", il n'y a que des compos ?

Bill : Non. Brother Weasel a un répertoire énorme. Quelques centaines de morceaux. Mais quand on enregistre, au lieu de faire ce qu'on fait en live, on rajoute encore de strucs nouveaux, ce qui est le contraire de ce qu'on devrait faire. Donc en ce moment, j'apprends quelques thèmes nouveaux, et je réécris quelques thèmes plus anciens pour que les gens ne s'en lassent pas.

Mark: Qui chante sur "Guilty"?

Bill : C'est moi. Sur "Mona" j'ai enregistré le chant en overdub par dessus l'harmo.

Mark: Sur "Hate to See You Go" (Guilty), tu joues des intervalles vraiment discordants.

Bill : Tu m'étonnes ! On a enregistré ça juste quand je commençais à utiliser mon accordage bebop. Je crois qu'à un moment je joue du Fa au Si au Mi au Sib.

Mark : Est-ce que tu peux me décrire Beutet ?

Bill : C'est "Little Walter rencontre Ornette Coleman". Ce sont exclusivement des compos de Steve Liebig avec des thèmes aux parties multiples et une improvisation sensée être free. J'approche ça de manière modale, parce qu'on ne peut pas juste jouer "n'importe quoi". Il faut d'une certaine manière se limiter pout créer. Je discute aussi avec le compositeur pour savoir ce qu'il veut faire avec tel ou tel morceau. Il aura eu l'idée d'un thème qui est une version mutée de la ligne de basse de "Smokestack Lightin'." Il aura des idées de riffs de blues étranges et distordus, permutés ou dans des clés bizarres. C'est souvent des trucs dans des gammes diminuées qui se prêtent bien au blues. Des grooves très cools. Le batteur, Joe Berardi est complètement chtarbé. Il utilise un pot de popcorn retourné comme tom, et douze petits blocs de bois alignés qui piaillent comme des lutins...

Mark : Tu fais des sessions d'enregistrement ?

Bil l: Un peu. Il y a un studio d'enregistrement qu'on loue à l'arrière de ma maison. L'autre jour c'était Kenny Burrell et feu Billy Higgens (Rires). Des grands du jazz mais aussi des projets bizarres. Le propriétaire/ingénieur c'est Wayne Peet qui est un ami et aussi mon proprio. J'enregistre des trucs là-bas et dans quelques autres studios, pour des gens que je n'ai jamais vus. L'an dernier, il n'y a que quelques disques sur lesquels j'ai joué qui m'ont vraiment plus, dont le King Cake Trio. Ils font du New Orleans "out", tuba, clarinette, et percussioniste. Je suis invité sur 4 ou 5 morceaux.

Mark : Vu combien tu utilises l'Orgue Hammond de Wayne Peet sur tes disques, est-ce que tu as une opinion sur la complémentarité de timbre de l'harmo et de l'orgue ?

Bill : Au début je me posais des questions, mais en fait je trouve que ça sonne. L'Hammond utilise une part tellement importante du spectre sonore que ça peut tout bouffer. L'harmonica est très spécifique dans son utilisation du spectre, même avec un bon ampli. L'harmonica peut être mixé fort et ça ne bouffera personne, sauf peut-être le chanteur et quelques instruments qui sont dans les mêmes fréquences.

Mark : Des réflexions sur l'écriture ?

Bill : Pour le BBQ, je recherchais des supports à l'improvisation, qui me permettent d'improviser d'une manière que j'aime. A chaque fois, je choisis soit un morceau qui me permet de m'éclater, soit un morceau qui me force à bosser un truc que je joue mal. Et puis je le transpose dans une clé zarbi et j'emmerde tout le monde (Rires.) Je pense que les mélodies me viennent d'abord, et ensuite je cherche une séquence d'accords qui va bien en dessous.

Mark : J'ai oublié de demander quelque chose ?

Bill : Je crois qu'il y a des trucs que je n'approche pas comme les autres harmonicistes. C'est peut-être juste une conséquence de la pauvreté de ma culture musicale en matière d'harmo, parce que je me doute que des mecs font ça aussi ailleurs. Altérer au chromatique, par exemple, ça ne se fait généralement pas, et c'est quelque chose que j'ai vraiment travaillé. Demi-ton, ton, parfois tierce, tout ça est faisable. Mais tout en sachant quelles notes on joue quand on altère, comme le ferait un joueur de diatonique moderne. Ca donne une vraie différence de timbre. Jouer un La direct ou jouer un La en altérant le Sib selon ce qu'on va jouer après. Je pense que ce qui manque beaucoup au chromatique c'est le glissando et le portamento, en d'autres termes, de l'altération et de l'articulation. Et puis en faire sortir un son blues. J'ai aussi travaillé à jouer des deux côtés de la langue pour avoir des choix d'intervalles plus bizarres. Je ne joue presque qu'en tongue blocking.

Mark : Ca permet d'accélérer les sauts d'intervalles aussi, non ?

Bill : Tout à fait. Un truc que je voulais éviter à l'harmonica, c'est qu'on en joue trop souvent de manière séquentielle, case après case. Ca peut sonner bien, mais le jazz n'est pas toujours séquentiel. Particulièrement au saxo ou au piano. Parfois, quand je joue des quintes, les deux notes ne sont pas sur la même octave. Le trou 1 et le trou 7 par exemple, ou si je joue des dixièmes, le trou 1 et le trou 6. Il y en a beaucoup sur "Hate to See You Go" (Guilty). Sur le CD du Beutet je vocalise dans l'harmonica, je marmonne des contre-mélodies en harmonie ou une fondamentale, et je m'en sers comme base d'improvisation. En ce moment, je travaille à une série de compositions de type Klezmer rencontre Chess.

Mark: Tu aimes ces juxtapositions inhabituelles, hein !

Bill: J'adore ! Je joue du klezmer dans un groupe depuis deux ans, et mon trip en ce moment c'est les musiques grecques et arméniennes.

Bill Barrett peut être joint à:
310-390-7856
P.O. Box 642590
Los Angeles, CA 90064
email: billbarrett23@hotmail.com
website: http://billbarrett.net/

(Trad : SL / BF)