Critiques Albums

Kintsugi par Yvan Knorst et Sébastien Charlier

Un nouvel album de Sebastien Charlier est toujours la garantie de la découverte d’un univers sonore original, virtuose et mélodique. Le dernier CD de Sébastien (Precious Time 2) était un album de fusion aux textures sonores variées et au jeu d’harmonica énergique et souvent ultra véloce.
Kintsugi prend un contrepied stylistique important.

Il s’agit principalement d’un duo guitare/harmonica, avec Yvan Knorst, formule ultra traditionnelle, mais qui emprunte ici des chemins mélodiques et harmoniques originaux.

Le duo jouent avec des couleurs bluesifiantes, japonisantes, bretonnantes voire arabisantes (j’ai toujours trouvé une étrange similarité entre la musique bretonne et la musique arabe). Les thèmes sont très mélodiques, les improvisations particulièrement inspirées et variées rythmiquement et mélodiquement. Les incursions “out” de Sébastien sont savoureuses (on aurait aimé qu’il y en ait encore plus!). Yvan Knorst brille à la guitare avec un son velouté et riche (à noter l’utilisation “tasty” des harmoniques sur Aki No Iro) et un sens rythmique redoutable. Sébastien joue comme d’habitude avec virtuosité, enchaînant les traits les plus complexes avec une facilité déconcertante et un son superbe.

A noter une très jolie reprise du très beau morceau Pluie d’Hiver (composition de Sébastien présent sur l’album Echec et Malt du Blues & Beyond Quartet).

Des invités de marque enrichissent certains morceaux: Dominique Di Piazza (compagnon de Sébastien dans le BBQ) à la basse électrique, Stephane Le Dro à la clarinette basse (belles contribution sur les unissons et le solo de “Ouverte”!!), Hideo au shakuachi (une flûte japonaise).

Le Kintsugi est une technique ancestrale, découverte au XVème siècle au Japon, qui consiste à réparer un objet brisé en soulignant ses fissures avec de l’or, au lieu de les masquer. Belle image pour la musique en général et pour cet album en particulier, qui mérite de nombreuses écoutes pour en tirer toute la substance.

Laurent Vigouroux

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Diatonic Revelation par Sébastien Charlier

Il ne s’agit pas d’une nouveauté mais au contraire du premier album de Sébastien Charlier qui date de 2005. Suite à la re-sortie de l’album de Howard Levy “Harmonica Jazz” qui a été le premier album qui s’attaquait vraiment au jazz au diatonique (en 1987!), il m’a semblé qu’il était intéressant de reparler de Diatonic Revelation qui est, je pense, en fait le vrai album charnière pour le monde de l’harmonica diatonique.

En effet, l’écoute de l’album de Howard Levy fait remonter à l’esprit les critiques qui lui étaient faites à l’époque: Levy montre certes pour la première fois qu’on peut s’attaquer au jazz complexe au diatonique mais l’execution reste vraiment perfectible. Le placement rythmique global, la justesse et la qualité sonore des overblows laissent clairement à désirer. Il faut dire qu’à l’époque on ne savait encore pas grand chose des overblows (technique d’obtention, réglage des harmos). Cet album est donc réellement un tour de force pour l’époque et une étape importante pour notre instrument. Mais il ne démontre pas encore que l’harmonica diatonique peut se hisser au niveau de n’importe quel autre instrument.

C’est la différence avec l’album de Sébastien qui au contraire n’a pas pris une ride et démontre une fluidité, une qualité sonore et rythmique non atteinte jusque là.

Pour la toute première fois (à ma connaissance) un harmoniciste diatonique délivre un album excessivement fin harmoniquement et rythmiquement, à la réalisation quasi-parfaite. C’était visiblement (comme il nous l’a raconté lors de l’interview de l’année dernière) le fruit d’un long travail, avec les influences et interactions de musiciens majeurs comme Didier Lockwood, André Charlier et Benoit Sourisse.

Sébastien a depuis atteint des hauteurs stratosphèriques en termes de phrasés, de time, de rapidité et de variété d’idées avec Precious Time 1&2 et de Blues & Beyond, mais tout était déjà là en 2005. On peut aimer ou pas ses albums (question de goût) mais force est de constater qu’il a fait passer l’harmonica diatonique dans le monde des instruments chromatiques. au même titre que le saxophone, la flûte, la trompette, etc …

Un album à redécouvrir!

Laurent Vigouroux

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Adagiorinho, par Rémi Toulon (avec Sébastien Charlier)

Rémi Toulon est un pianiste français dont on avait beaucoup aimé l’album précédent Quietly, avec une mention spéciale au superbe et mélancolique morceau Echoes of Spleen dans lequel Rémi montrait toute l’étendue de sa sensibilité et de sa maitrise des intervalles.

Il revient ici avec un album inspiré à la fois par le jazz, le classique et les musiques latines (le titre de l’album évoquant la fusion de l’Adagio européen et du Chorinho brésilien). Cela donne un album à l’image de sa belle pochette, beaucoup plus lumineux. En plus du trio historique de Rémi, Sébastien Charlier contribue à l’harmonica sur 6 morceaux.

Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il s’incorpore parfaitement et que cela sonne plus comme un quartet que comme un trio + guest.

Le jeu de Sébastien est, sans surprise, à la fois virtuose, précis et sensible. Le son de l’harmonica apporte un vrai plus à l’ensemble.

Le percussionniste Zé Luis Nascimento apporte également une couleur latine indéniable sur plusieurs titres.

Les thèmes des compositions sont très mélodiques et les improvisations inventives et variées. Il est particulièrement intéressant de voir s’exprimer en harmonie les univers différents de Rémi et de Sébastien dans les solos.

Mention spéciale aux titres Musset (l’harmo et le piano s’y répondent superbement et Remi y fait par moment savoureusement dialoguer sa main droite et sa main gauche), Adagiorinho, Sambamaya et la reprise déstructurée de la chanson Elisa.

Un bel album de musique inspirée et inspirante.

Laurent Vigouroux

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Crooked Philosophy, par Bill Barret et Marcus Watkins

J’ai toujours eu ce petit côté « exception culturelle » qui me faisait penser que le jazz manouche ne sonnait pas aussi bien quand il était joué par des Américains. Et puis j’ai écouté John Jorgensen. Et puis j’ai écouté son album. Non seulement il swingue comme pas deux dans le business, mais il a aussi le grain et les imperfections qui font du Manouche la musique improvisée que j’aime. Un album vraiment superbe, magnifié par le meilleur chant que Bill ait jamais produit (en tout cas à ma connaissance). Allez-y, ça vaut le coup.

Ben Felten

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Olivier Ker Ourio, feat. Sylvain Luc – French Songs

J’ai toujours fait la différence entre les albums insulaires d’Olivier Ker Ourio (Oté l’Ancêtre !, Sominnkér, Overseas, L’Orkes Peï) que j’aime à la folie et le reste de sa production que j’aime sans en être pour autant époustouflé. Pour de nombreuses raisons (et de façon un peu surprenante si on considère les morceaux choisis ici), on a l’impression qu’avec French Songs, Olivier a fini par fusionner les deux musiciens schizophrènes qui cohabitaient en lui. French Songs est un recueil de reprises de chansons françaises (généralement) très connues, et pourtant cela sonne insulaire en diable. La présence du batteur cubain Lukmil Perez participe énormément à la création de ce feeling tropical, et le sens mélodique d’Olivier et de Sylvain parachève ce magnifique édifice, bâti sur ces fondations syncopées. En un mot, superbe !

Ben Felten

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Valentine Goby et Jérôme Peyrelevade – Un paquebot dans les arbres

Voici un objet culturel un peu à part. Il s’agit d’une sorte de livre audio dans lequel l’auteure Valentine Goby lit des passages choisis de son roman. Mais comme un des protagonistes de ce roman (le père de la narratrice) est un joueur amateur d’harmonica, l’idée d’associer à la voix de l’auteur un accompagnement d’harmonica a vu le jour. L’exercice est ardu car il faut trouver un équilibre entre la voix et l’harmonica, ce qui est d’autant plus délicat que celui-ci est joué a cappella. Le CD s’ouvre sur une intro instrumentale qui mène à un air ancien, “Frou Frou”, objet de la première scène narrée par Valentine, dont la voix chaude et expressive est particulièrement vivante et agréable à écouter. Très vite l’harmonica revient en fond sonore pendant la narration, parfaitement dosé. Et tout le CD se déroule comme cela, la voix et le chant de l’harmonica se répondant puis s’entremêlant puis se répondant de nouveau. Le texte est beau et bien écrit, le jeu et la narration sont précis, la dynamique est excellente. Les compositions de Jérôme sont inventives et variées. Parfois il imite les sons de la nature, parfois il s’inspire d’un extrait de classique. Toujours avec goût et virtuosité. Les 44 minutes du CD passent comme un souffle, on est happé par le récit et l’humanité de l’écriture.

On en sort avec ce sentiment étrange de décalage qu’on a lorsqu’on quitte le cinema après un bon film, ce qui est le signe d’une oeuvre réussie.

Le seul défaut du CD est qu’il ne présente (forcément) que certains extraits du roman et qu’on perd certaines parties de l’histoire, ce qui nuit parfois un peu à la compréhension.

Jérôme a retranscrit certains des morceaux sur son blog theoverblowers.com:

Au BaltoLa marche d’Aincourt, Smile, Première Gymnopédie

Le cd est disponible sur son site:

Un paquebot dans les arbres

Laurent Vigouroux

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Jason Ricci & The Bad Kind – Approved by Snakes

Difficile de parler d’un album de Jason Ricci sans parler du personnage, probablement un des plus excentriques et controversés dans le monde de l’harmonica. Approved By Snakes est clairement un album de rédemption pour Jason Ricci, il nous parle des moments difficiles des dernières années avec des paroles crues et dures. Côté harmonica il a toujours ce son très Rock qu’on lui connait et sa voix éraillée rajoute à l’ambiance nuits américaines, genre de « road movie » auto-biographique. Ses phrasés se sont peaufinés et excellent dans le style Blues-Rock, il innove à sa façon dans ce genre. Bref un album typiquement « made in America » et un beau retour sur disque pour Jason Ricci.

André Daneau

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Traces & Scars – Guy Bélanger

Après des années de spectacles côtoyant différents artistes (Céline Dion, Les Colocs, France D’amour, le Cirque du Soleil, etc), après de multiples nominations pour ses albums antérieurs, Guy Bélanger nous offre ce nouveau voyage musical touchant et authentique.
Son album “Traces & Scars” nous propose de suivre les traces de son passé. Il partage ses belles rencontres, mais il nous révèle aussi les cicatrices que la vie lui a
causées. Dès le début de l’album, il donne le ton à ce voyage en rendant hommage à son ami et frère de blues, Bob Walsh, qui nous a quitté en 2016. La perte d’une complicité aussi sincère, ne peut que laisser une cicatrice douloureuse. Pour un musicien, la guérison se fait souvent à travers la musique et la création. On sent, dans cette première pièce, l’homme qui se relève tranquillement et qui tente de sculpter quelque chose de beau dans un matériau qui lui coupe encore les mains.
Ensuite, la lumière va et vient au fil des pièces, comme une journée nuageuse avec quelques éclaircies. En plus de ses excellents musiciens, Guy Bélanger partage avec nous des rencontres musicales qui l’ont touchées. Ceux qui connaissent la guitare de Preston Reed, le violoncelle d’Eric Longsworth et la voix de Luce Dufault seront heureux de les voir briller sur cet album. On reconnaît facilement son talent d’harmoniciste lead, ainsi que son aisance à mettre en valeur ses musiciens.
Guy Bélanger est l’un de ces musiciens qui, malgré son évolution et ses explorations de styles, n’a jamais perdu sa signature sonore. On la reconnaît dès la première note !

Plus je l’écoute, plus j’ai de la difficulté à lui mettre une étiquette musicale. Ce qu’il transmet avec son harmonica n’est ni du blues, ni du country ni du pop, mais bien ce que Guy a apprécié de ces styles et ce qu’il a décidé de nous faire partager. Bref Guy y fait c’qui veut, et il le fait très bien ! Traces & Scars lui a valu le prix Harmoniciste de l’année au 21ème Maple Blues Awards Toronto 2018 et avec raison !

Benjamin Carpentier

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Robert Legault – Le Mouton Noir

Tu veux découvrir une vraie tradition québécoise?
Robert Legault est un harmoniciste qui a une démarche unique. Dès sa jeunesse, il était un musicien reconnu pour son excellente technique d’harmonica traditionnel. Comme un mouton noir qui devait quitter le troupeau pour explorer d’autres horizons, il a disparu de la scène musicale durant des années. En 2017, il revient du néant pour ” endisquer ” des compositions et des airs du répertoire traditionnel québécois.
Ceux qui ne connaissent pas le personnage seront surpris par la pochette de son album.
Robert est un paradoxe. Amoureux de la musique traditionnelle qui fait danser, il est aussi un grand amateur de la musique hardcore ! On sent que l’image et le titre de sa pochette est une manière de se dissocier des clichés de la musique traditionnelle et d’y intégrer des éléments propres à la culture hardcore.
La deuxième chose qui en surprendra plusieurs, c’est que Robert Legault adore les
possibilités de l’harmonica tremolo ou octave (qu’il nomme ”La double”) et qu’il en joue avec virtuosité. Il exploite à la perfection le jeu de langue propre au style québécois. C’est un autre élément qui fait de lui un Mouton Noir, car de nos jours, ce modèle d’harmonica est souvent boudé par les harmonicistes modernes. Sur l’album, on y retrouve également du diatonique (qu’il nomme “Petite musique à bouche”) et du chromatique sur deux airs bretons.
Les autres musiciens de l’album sont de grands porteurs de traditions d’ici. Ils y apportent leurs couleurs personnelles. On entend de la guitare, du violon, des harmonicas et de la podorythmie, qui sont des éléments importants dans la musique québécoise.
La qualité des arrangements est sublime et l’énergie qui en ressort se fait sentir dès
la première écoute ! Bref, un album pour faire voyager ceux et celles qui n’ont pas la chance de passer au Québec et qui veulent découvrir autre chose que du sirop d’érable !

Benjamin Carpentier

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Nico Wayne Toussaint plays James Cotton

Bon comme là-bas !

 Pour ce nouvel album, Nico Wayne Toussaint a décidé de rendre un hommage posthume à James Cotton, légendaire harmoniciste de Muddy Waters, également auteur d’une oeuvre solo prolifique.

Un hommage, certes, mais pas un pastiche ou un copié collé, qui permet à l’harmoniciste palois de revisiter un répertoire typiquement blues, tendance Chicago.

Toujours chaud et expressif dans tous les registres, souvent “crunchy”, l’harmo de NWT est particulièrement efficace dans ce répertoire, tant sur les blues groovy relativement lents (« Born In Missouri ») que sur les morceaux qui envoient (“Rocket 88”, aux accents rockab’, ou encore “Midnight Creeper”, l’instrumental endiablé qui clôture l’album).

 Servi par un groupe d’excellents musiciens et quelques pêches de cuivres toujours bien placées (notamment sur “Today I Started Loving You Again »), l’album nous promène donc à l’aise, de morceaux enlevés et toniques à ballades bluesy en passant par un titre efficacement crépusculaire (“Down At Your Buryin’ ». Crépusculaire, mais en même temps, on parle d’un enterrement, pas de la fête à Neu-Neu).

La voix de NWT est particulièrement adaptée, ni trop légère ni caricaturalement blues (vous savez, le genre voix de cendrier froid atteint d’une cirrhose), et les titres live donnent un bel aperçu de l’ambiance à ceux qui n’ont pas encore eu l’occasion de le voir en concert.

Le disque s’appelle « Nico Wayne Toussaint plays James Cotton », ça tourne en boucle sur ma platine et bientôt sur la vôtre !

François Morcrette

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Myriagon – EP

Myriagon est un jeune groupe français qui vient de sortir un EP 5 titres de compositions. Le moins qu’on puisse dire, c’est que cela groove! La rythmique tourne comme une horloge et sait varier les sons et les grooves. La chanteuse a vraiment un grain et un phrasé intéressants et last but not least, le jeu de Cédric Deschamps à l’harmonica est très intéressant. Ses interventions sont inventives au niveau du phrasé et du son, toujours avec le meilleur goût. Un bel exemple de jeu d’harmonica dans un contexte de groupe de chansons fusion/rock/soul.

Un groupe à découvrir (sur Facebook par exemple), qui va avoir j’espère une belle carrière!

Laurent Vigouroux

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Yvonnick Prene – Breathe

Yvonnick est un harmoniciste chromatique français qui s’est installé aux états-unis et qui s’inscrit dans la lignée de Toots Thielemans. Breathe est son 4eme album après Jour de Fête, Wonderful World et Merci Toots. Yvonnick a également produit des méthodes d’harmonica jazz (Jazz Etude et 100 Jazz Patterns for chromatic harmonica) et vient de lancer un cours sur internet (https://harmonicastudio.yvonnickprene.com).

L’album voit sans surprise l’harmonica chromatique s’exprimer pleinement. Le son d’Yvonnick est bon et son jeu très fluide (chose toujours difficile au chromatique!). Les musiciens qui l’accompagnent sont excellent et l’ensemble est très bien produit.

Tout cela donne un bel album de jazz, qui contribue à installer durablement l’harmonica chromatique dans ce contexte.

Laurent Vigouroux

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Gadji-Gadjo: Regards

La première sensation qu’on ressent à l’écoute de cet album est une sensation d’énergie à la fois mélancolique et joyeuse portée par une sorte de fanfare des balkans (accordéon, violons, harmonica, guitare, percussions, contrebasse, tuba, trombone). Mais le style foisonnant de ce groupe de musiciens virtuoses est plus varié que ce que pourrait faire croire cette première sensation. De nombreuses ambiances se succèdent, parfois au sein du même morceau: par moment on se croit chez les Têtes Raides, par moment dans la musique klezmer puis tzigane, et même ponctuellement dans du jazz à l’occasion d’une rupture rythmique portée par une ligne de contrebasse.

L’harmonica de Benjamin Tremblay se fond parfaitement dans la musique. Alternant jeu en background et jeu lead ou en unisson avec le violon. Il est toujours pertinent et souvent virevoltant.

Y’a pas à dire, c’est ben l’fun cet album. Courez-y l’acheter!

Laurent Vigouroux

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The Marshalls: Les Courriers Sessions

Outlaws de la ville, desperados de la plaine, cow-boys et orpailleurs d’Arizona ou du Montana, rentrez au bercail préparer le chili et nettoyer les esgourdes, puisque les Marshals sont de retour, avec l’album Les Courriers Session.

The Marshals ? Un trio rock qui a sorti il y a quelques années leur précédent opus, AYMF Session, aux accents hendrixo-zeppelino-vaughano-buckleyien, avec Laurent Siguret à l’harmonica.

On retrouve tous les ingrédients qui caractérisent ce groupe auvergnat : du Rock, du Blues, de la Folk, une voix lancinante, accompagnée de guitare et harmo saturés qui remplissent l’espace sans l’envahir, la batterie en appui pour enfoncer les clous dans la clôture, et les vaches seront bien gardées. Beaucoup d’influences diverses pour une musique finalement très personnelle.

L’art du trio demande un dosage délicat, trop de présence du soliste ferait vite remplissage et gênerait la cohérence de l’ensemble, pas assez risquerait de rendre le son général un peu creux et monotone. Laurent Siguret a trouvé le point de balance, et ponctue chaque morceau de ses phrases avec goût, et une gestion maîtrisée de l’équilibre du son et du titre, intégrant quelques clins d’oeil modernes à ses licks ultra roots.

Quant aux compositions, l’écriture est éthérée, peut-être encore un peu plus que sur le précédent album. On en revient à la source : peu d’accords, quelques gimmicks prégnants, une mélodie simple et prenante, un son à la saturation équilibrée, un Rock épuré et expressif, à l’énergie mélancolique.

On est dans un temps lent et un espace rugueux, l’orage est passé mais ça tonne toujours. Allez, une rasade d’un whisky frelaté et râpeux, puis l’on s’en va rentrer les bêtes avant de préparer les haricots rouges pour le soir. Les Marshals sont de retour, et ça fait bien plaisir.

Un groupe à découvrir, et à aller voir sur scène !

Jérôme Peyrelevade

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David Herzhaft: Pacific Lounge

David Herzhaft fait partie des premiers harmonicistes à avoir fait bouger les frontières du diatonique. Depuis pus de 20 ans, il promeut à travers ses albums, ses stages et ses méthodes une approche chromatique de l’instrument. Son album précédent “Jazzin’ around”, était comme son nom l’indique dans une veine jazz avec plusieurs reprises de standards dont un très original et réussi Summertime.

Pacific Lounge le voit aborder une approche électro … lounge.

Les atmosphères des douze compositions originales de l’album sont réussies et variées. Le son acoustique de l’harmonica diatonique se mêle bien aux rythmiques électroniques. On retient plus les solos inventifs que les thèmes.

C’est un album intéressant qui propose l’harmonica diatonique dans un registre inhabituel.

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Jérôme Peyrelevade: Somewhere on the Edge of Time

Il convient tout d’abord de préciser qu’il s’agit bien du Jérôme qui intervient dans la rubrique pédagogique de Planet Harmonica. J’ai hésité à inclure cette critique de l’album d’un contributeur majeur du magazine. Deux choses m’ont décidé à le faire:

  • Ce que je pense de l’album date d’avant cette collaboration (vous pourrez en retrouver les traces sur le forum diato par exemple).
  • Je pense que cet album est un album majeur pour le monde de l’harmonica diatonique et qu’il convient d’en parler ici.

Ceci ayant été précisé, passons à l’essentiel. La musique proposée par cet album!

Dès la première écoute, il saute aux oreilles que c’est un album riche, très riche musicalement. Le jeu de Jerôme est à la fois virtuose, complexe et extrêmement mélodique. Les thèmes sont particulièrement réussis. Ils accrochent l’oreille et entrent immédiatement dans la tête. J’ai surpris mon fils de 12 ans (non musicien) en train de les chantonner!

Les solos, surtout certains, sont assez exigeants pour l’auditeur de part leur originalité et certains choix rythmiques et harmoniques. Il faut quelques écoutes pour arriver à les “amadouer”. Il y a beaucoup de sorties en jeu out du meilleur goût, cela frotte juste ce qu’il faut. Rythmiquement, c’est extrêmement fouillé et parfois un peu déroutant. Et Jérôme est visiblement devenu adepte des descentes hyper rapides.

Bien que cela soit un premier album, Somewhere on The Edge of Time (titre parfait!) est un album totalement abouti. Chaque morceau a une atmosphère unique, mais en même temps il y a une réelle cohérence de l’ensemble.

Ce résultat est également obtenu grâce aux musiciens qui jouent sur l’album, tous des pointures du Jazz. Dans une interview que j’avais retranscrite pour le premier numéro de Planet Harmonica (…en 1998!), Jean-Jacques Milteau disait que l’écrin dans lequel il plaçait l’harmo lui était très important et que donc il s’entourait de bons musiciens. Jérôme a clairement suivi cet exemple et a eu à coeur de leur laisser de la place  Very Happy . Mention spéciale à Remi Toulon sur l’intro du Someday is a Lonely Day, une ballade à la mélodie particulièrement réussie et au final très émouvant.

Si Jérôme est clairement dans la lignée de Sébastien Charlier de par son approche liant richesse harmonique/rythmique et dépassement totale des carcans et des clichés de l’instrument, il a sa propre voix et nous amène à chaque fois dans un voyage très personnel.

Jérôme joue principalement en son clair sauf sur deux morceaux dont Nabish’ Moy dans lequel il s’amuse à détourner le riff célébrissime de Manish Boy pour en faire un morceau de blues-jazz-rock totalement moderne.

Donc pour résumer, cet album est un bijou pour ceux qui ont envie d’ouvrir leurs oreilles et qui aiment les instrumentaux mélodiques et complexes.

A noter qu’il existe un recueil de transcription de la partie harmonica de tous les morceaux (thèmes et chorus) de l’album, disponible ici.

Le CD est disponible ici

Laurent Vigouroux

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Raphaël Herlem Quintet – Kaïros

Il y a une paire d’années j’étais allé voir Tao Ravao et Vincent Bucher en concert à Paris. Lors d’un passage du deuxième set, Vincent avait cédé la place à l’harmo à Thomas Laurent. Dans un style très différent, plus jazz, Thomas avait enchanté un mien copain qui assistait avec moi à ce concert. Ledit pote avait dégoté le lendemain un EP du Raphael Herlem Quintet sur lequel jouait Thomas: un jazz-funk de bonne facture et plein de promesses.

Du coup, lorsque Kaïros, le dernier album d’un quintet fortement remanié est sorti, j’en ai fait l’acquisition sur bandcamp pour quelques maigres euros. Grand bien m’en a pris. Kaïros est bien plus abouti et mature que ne l’était le premier EP eponyme. En particulier la section rythmique envoie le bois de façon bien plus convaincante et le bassiste Carel Cleril se permet même quelques sorties que ne renierait pas Jaco.

Les compositions de Raphael Herlem sont résolument modernes, baignées d’un groove souvent endiablé (à l’exception d’une ballade plus pensive, ‘Alice’). Les morceaux sont longs, laissant une grande place à l’improvisation, mais sans pour autant devenir lassants. Je suppose qu’on peut arguer que tout ça n’est pas d’une grande originalité musicale, mais je ne pense pas que l’ambition de ce premier véritable album soit de révolutionner le genre, juste d’en rendre une interprétation honnête et efficace.

Le mariage saxophone / harmonica chromatique au coeur de ce projet fonctionne vraiment bien. Il y a quelque chose dans les timbres de ces deux instruments qui fait que la sauce prend. C’est particulièrement vrai lorsque Herlem troque l’alto pour le baryton, comme sur ‘Catalyst’ qui joue non seulement sur les timbres mais l’écart de tonalité entre les deux instruments.

J’avais gardé de Thomas Laurent le souvenir d’un harmoniciste prometteur dans une veine manouche, je le retrouve très à l’aise dans un funk post-bop, capable de longues phrases échevelées, naviguant l’harmonie avec aisance. C’est très plaisant et (finalement) pas si courant à l’harmonica.

Bref, Kaïros est un très bon album de jazz que vous n’écouterez pas (je l’espère) juste parce qu’un harmoniciste y figure en bonne place, mais parce que c’est une excellente musique, entraînante et intelligente à la fois, avec les incursions fréquentes d’un baryton bien gras.

Benoit Felten

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Sébastien Charlier: Precious Time 2.0

Il y avait des signes avant-coureurs de la déflagration qu’allait représenter cet album. Tout d’abord l’opus précédent, bien entendu. Precious Time 1 avait redistribué les cartes en démontrant la chromaticité totale du diatonique et (surtout) en proposant un album fusion aux titres accrocheurs et à la musicalité exceptionnelle.
Mais aussi l’air particulièrement satisfait du maître Sebastien Charlier lorsqu’il a évoqué ce nouvel album lors du stage Diato Jazz de Grasse.
Quand on sait le niveau d’exigence qu’il met dans tout ce qu’il fait, le sentir si convaincu du travail accompli ne pouvait qu’augurer d’un album majeur.

Eh bien … waouh!

C’est musicalement génial et techniquement incroyable. La fusion parfaite du groove, de la complexité harmonique et des envolées instrumentales improbables au service de morceaux accrocheurs dont on se retrouve à siffloter les mélodies.

Difficile de détacher un morceau des autres, mais mention spéciale à Hijacked, détournement particulièrement fin (ou plutôt ré-invention totale) de Spain. Quand on se souvient que Spain était justement le morceau mis en avant par Sébastien il y a une vingtaine d’années pour démontrer la faisabilité de jouer n’importe quel thème de jazz au diato, on se dit qu’en quelque sorte la boucle est bouclée et que l’harmonica diatonique est devenu un des instruments de l’avant-garde Jazz.

Dans le monde de l’harmonica, il y a un avant et un après Sébastien Charlier, et un avant et un après Precious Time. Il a ouvert des voies encore inexplorées et il est maintenant suivi par de plus en plus d’artistes qui ne manqueront pas d’ajouter leur voix à la révolution que connait notre instrument.

Laurent Vigouroux